Essai autour de l'eouvre de Philippe Perrin
DATE: Janvier 2008
Editeur: Bnd Tomaso Renoldi Bracco
Support: Catalogue "Heaven Express"
«Shortcut to heaven. Straight to hell».
«J’irai au Paradis. J’ai passé ma vie en enfer». Philippe Perrin
Exposée pour la première fois dans Église de Saint-Eustache à Paris, Heaven est une installation monumentale réalisée à l’occasion de la Nuit Blanche 2006. En jouant avec l’iconographie traditionnellement associée à la passion du Christ, Philippe Perrin retranscrit la violence de la mort dans un contexte contemporain. Une imposante couronne de fil en métal barbelé qui subtilement enchaînée forme un cercle qui enferme et ouvre à la fois le regard du spectateur. Présentée théâtralement, sous une lumière zénithale et comme une relique, un objet de contemplation hypnotique, la réalité se déploie, et se retrouve en suppléante du divin.
En refusant l’idolâtrie et le dogme inconditionnés, Philippe Perrin nous impose la froideur du métal en nous amenant emphatiquement vers la vérité et la chaleur du sang. L’installation est la représentation d’une brutalité murmurée et habitée par un silence où toute parole est bannie. La finitude et la perfection propres à la catégorie formelle du cercle qui n’a pas un rapport exprimable en nombres finis et qui réunis tous les points de l’infini, s’oppose alors à l’expression propre à la violence de la guerre. Ouverture et enfermement, unité et division, aliénation et sublimation, plein et vide, violence et indulgence, fini et infini, lumière et obscurité, terrien et céleste, divin et païen, paradis et enfer. Plus qu’un simple cercle, une ellipse, une éclipse.
Heaven est une installation qui s’inscrit dans la cohérence de la recherche formelle de l'artiste. Avec une oeuvre polymorphe et très personnelle, Philippe Perrin travaille depuis plus de 20 ans une esthétique exprimant le paroxysme de la violence.
Dans ses anciens travaux, ses interventions de «guérilla urbaine» se traduisaient avec des actes-performances d’affichage sauvage effectués dans la ville de Nice en 1986. Depuis, Philippe Perrin s’exprime à travers une reproduction sérielle et obsessionnelle de shoot-cut visuels, de jeux d’échelle où l’oeuvre semble exploiter le brillant effet de l’oxymore. En alternant dans sa création des violents paradis, à des bestiales tendresses, l’artiste permet au spectateur des s’extasier dans la destruction.
Philippe Perrin en sage hériter de Caravage avec des oeuvres comme Judith et Holopherne et d’Andy Warhol avec des oeuvres comme Car Crash, transcrit dans sa sérielle banalisation de la violence, le dionysiaque de l’art tel que l’entendait Friedrich Nietzsche, et une esthétique du simulacre qui s’avère autant redevable à la pensée de Guy Debord.
Si l’art le plus haut, le plus religieux, est aussi l’art le plus tragique, depuis toujours l'oeuvre de Philippe Perrin est traversée par l’expression d’un eternel retour, car l’artiste y fait surgir la beauté de l’horreur, l’horreur de la beauté. L’humanité. «L’artiste tragique, que nous communique-t-il de lui-même ? N’affirme-t-il pas précisément, l’absence de crainte devant ce qui est terrible et incertain ? La bravoure et la liberté du sentiment devant un ennemi puissant, devant un revers sublime, devant un problème qui éveille l’épouvante, —c’est cet état victorieux que l’artiste tragique choisit et glorifie. Devant le tragique, ce qu’il y a de guerrier dans notre âme célèbre ses saturnales ; l’homme héroïque exalte, dans la tragédie, le destin de celui qui est habitué à la souffrance, de celui qui cherche la souffrance,—et c’est à lui seul que le poète tragique offre la coupe de cette cruauté la plus douce».1
1 Friedrich Nietzsche, Le Crépuscule des Idoles, ou comment philosopher à coup de marteau, Éditions Folio Essais.